Henri Lindegaard :
Parcours

Né en 1925 à Madrid, au sein d'une famille protestante espagnole, Henri Lindegaard devait son nom à son grand-père paternel danois. Son père Enrique Lindegaard (1879-1944) fut pasteur et président de la Fédération des Églises évangéliques en Espagne. Du côté maternel, son oncle Eduardo Diaz Yepes (1910-1978) fut un sculpteur reconnu en Uruguay, où il avait émigré.
Pendant la guerre civile d'Espagne, la famille Lindegaard dut fuir Madrid sous les bombardements. Elle se réfugia d'abord à Barcelone, bientôt elle aussi bombardée, puis à Clairac (Lot-et-Garonne). Là, elle fut hébergée dans une maison appartenant à la famille du pasteur Jacques Delpech (1887–1965). Celui-ci avait facilité leur venue en France, comme il le fit pour de nombreuses autres familles protestantes espagnoles fuyant à la fois la guerre civile et la persécution religieuse (1). La famille connut à nouveau privations et incertitudes pendant la Seconde Guerre mondiale. Ces expériences de guerre et d'exil marquèrent profondément Henri Lindegaard, tout comme la mort prématurée de son père en 1944.
Guy Roux, son ami de jeunesse qui devint par la suite un psychiatre reconnu, évoqua ainsi leur adolescence à Clairac :
J'étais l'ami d'Henri, sorte de Grand Meaulnes ibérico-nordique, blond et déjà chauve, aquarelliste doué et organiste talentueux avec lequel nous nous glissions dans le Grand Temple pour l'écouter jouer, ou bien dans l'église lorsque le curé nous en prêtait la clef. […] À la longue, un petit groupe s'était formé autour d'Henri, d'inséparables qui se promenaient dans la campagne, les soirs de printemps et d'été, pour des discussions passionnées sur la religion. […] Séparés durant les trimestres scolaires, dispersés que nous étions dans divers collèges, nous nous retrouvions pour les vacances, et reprenions nos déambulations nocturnes au cours desquelles il nous arrivait de chanter les hymnes qu'Henri avait interprétés à l'orgue. Je me souviens d'un chant que nous entonnions les nuits de Juin, lorsque la Voie lactée traçait dans le ciel le « Chemin de Saint Jacques » :
« O Nuit ! Qu'il est profond ton silence
Quand les étoiles d'or scintillent dans les cieux … »

À l'âge de 18 ans Lindegaard poursuivit ses études au Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire), à l'École nouvelle cévenole (devenue depuis le collège Cévenol). Il fut pensionnaire à la maison des Roches, un foyer pour étudiants. D'après le témoignage de Jean-Philippe Le Forestier (3) :
Passionné par la peinture et la poésie, il participait âprement aux discussions régulièrement ouvertes sur ces sujets par ses compagnons de la maison des Roches.
Toujours d'après Le Forestier, la région connaissait alors un grand essor culturel avec l'arrivée de nombreux intellectuels fuyant l'occupation nazie. En 1943 Lindegaard échappa à une rafle de la police allemande à la maison des Roches (étant malade ce jour là)(4-5), mais il n'oublia pas le traumatisme de voir ses camarades et le directeur Daniel Trocmé (1912 - 1944) embarqués dans un camion (un bon nombre, dont Trocmé, périrent dans des camps de concentration).

Admis à la faculté de théologie de Montpellier en 1945, il eut comme professeurs, entre autres, Henry Leenhardt (1900 - 1961), Jean Cadier (1898 - 1981) et Théodore Preiss (1910 - 1949), qui avaient tous trois participé à la Résistance ; et aussi son professeur d'Ancien Testament Wilhelm Vischer (1895 - 1988), qui avait été contraint de quitter l'Allemagne (6) à cause de son rejet public de la théologie nationaliste antisémite. Vischer (à droite, son portrait en 1959 par Lindegaard) enseignait une approche christologique des textes de l'Ancien Testament, approche inspirée de celle du Nouveau Testament, où la venue du Christ représente l'accomplissement des prophéties de l'Ancien Testament. Pour citer Vischer dans une conférence donnée en 1959 (7) :
Les divers écrits du Nouveau Testament affirment unanimement : Jésus de Nazareth est en personne la divine vérité de l'Ancien Testament.
Il est un homme parmi les hommes, un Juif parmi les Juifs. Ainsi il confirme ce que tout l'Ancien Testament montre, à savoir que Dieu parle humainement aux hommes, qu'il se communique aux hommes par des hommes, que la révélation de sa majesté s'accomplit dans l'humilité.
De même que dans l'Ancien Testament la parole de Dieu est toujours donnée telle qu'un homme l'a comprise, souvent même mal comprise, ainsi la parole éternelle incarnée en Jésus est-elle ce que Jésus a compris de Dieu. Il croit que Dieu est son père. Et il a compris que Dieu est aussi bien le père de tous les hommes. C'est ce qu'il vient dire à ses frères.
L'approche christologique de Vischer a été parfois mal comprise par la suite, mais pour bien la comprendre, il suffit de lire le texte de cette conférence dans son intégralité. C'était un homme d'une grande profondeur et subtilité d'esprit et il ne s'agissait pas pour lui de déformer les textes de l'Ancien Testament pour y trouver coûte que coûte des figures, des allégories, et des symboles du Christ, au contraire il critiquait ces approches.

Le théologien Jérôme Cottin (8) signale l'influence christologique de Vischer dans l'art biblique de Lindegaard, en citant plusieurs exemples d'allusions christiques (voir aussi le dessin pour le psaume 126, le dernier de la page Les Psaumes du pèlerin sur ce site, ainsi que le dessin À Ninive, sur la page La Bible des contrastes).
Lindegaard suivit en même temps des cours du soir à l'école des Beaux-Arts. Sa formation artistique prit un tournant décisif avec sa rencontre en 1952 du peintre et théoricien cubiste Albert Gleizes (1881 - 1953), avec lequel il eut des entretiens sur l'art et la religion (vers la fin de sa vie, Gleizes s'était converti au catholicisme et s'était tourné vers l'art religieux). Lindegaard donna à Gleizes un livre de Barth, Parole de Dieu et parole humaine (1933), que Gleizes avait par la suite marqué et annoté (9).

Après un voyage d'études à Chicago, Lindegaard soutint en 1951 une thèse intitulée La relation esthétique. Il devint pasteur dans le Gard à partir de 1952, d'abord à Beaucaire pendant dix ans, puis à Vézénobres (près d'Alès) pendant vingt-neuf ans. En 1956 il épousa Béatrix de Rougemont, avec qui il eut trois enfants. Il fut consacré au ministère pastoral en 1958 par Delpech. De 1967 à 1982 il fut membre puis président de la commission de Liturgie de l'Église réformée de France. Son travail à Vézénobres à temps partiel lui permit de poursuivre en parallèle sa vocation de peintre. Suivirent des expositions, plusieurs fois par an. Pour des introductions à son œuvre artistique et littéraire voir Œuvre et La Bible des contrastes.
Il prit sa retraite en 1990 au Mas Soubeyran, près de
Mialet (Gard), où il animait des stages d'aquarelle depuis la fin des années 1960 dans un vieux mas acquis en 1966, le Mas Lacroix. Il mourut subitement en 1996 au cours d'une de ces stages au Lazaret de Sète, entouré par les participants, laissant une aquarelle presque achevée de
la cathédrale de Maguelone.
Voir aussi la notice sur le musée virtuel du protestantisme (10), celle de Patrick Cabanel dans le "Dictionnaire biographique des protestants français de 1787 à nos jours" (11), et celle sur Wikipédia.fr (12) ; ainsi que "Le parcours" de Roger Chapal (13) dans un numéro commémoratif de Foi et Vie (14) intitulé "Art et Foi de Lindegaard".
Henri Lindegaard est une personne qui a beaucoup donné de lui-même à travers son pastorat, son art, son enseignement, et en retour il a été très aimé, comme les articles dans Art et Foi de Lindegaard (14) en témoignent. Pour d'autres témoignages, voir les articles de participants à ses stages sur la page Enseignement, et aussi :
Références - Cliquez sur les éléments soulignés pour accéder aux articles :
(1) Carole Gabel, « Jacques Delpech. Un pasteur au service des Espagnols », Bulletin du Centre d'Étude du Protestantisme Béarnais n. 47, juin 2010, p. 6(2) Guy Roux, souvenirs personnels, 2020
(4) Pierre Bolle (dir.), « Témoignage d'Henri Lindegaard » dans Le plateau Vivarais-Lignon, accueil et résistance : 1939-1944, actes du colloque du Chambon-sur-Lignon, Société d'Histoire de la Montagne, 1992, p. 554-556
(5) Gérard Bollon, « Témoignage d'Henri Lindegaard » dans « Contribution à l'histoire du Chambon-sur-Lignon : le foyer universitaire des Roches et la rafle de 1943 », Cahiers de la Haute-Loire: revue d'études locales, 1996, p. 391-421
(6) Edouard Hesse, Interview du professeur Wilhelm Vischer, été 1988
(7) Wilhelm Vischer, « La méthode de l'exégèse biblique », Revue de Théologie et de Philosophie, n. 10, 1960. p. 118
(8) Jérôme Cottin, « Préface », La Bible des contrastes : méditations par la plume et le trait, Labor et Fides, 1993, p. 6-7
(9) Correspondance en 1992 entre Lindegaard et Peter Brooke, auteur d'une biographie sur Gleizes (Albert Gleizes – For and Against the Twentieth Century, New Haven et Londres, Yale University Press, 2001)(10) « Henri Lindegaard (1925-1996) », Musée virtuel du protestantisme, 2024
(11) Patrick Cabanel, « Lindegaard Henri », dans Patrick Cabanel et André Encrevé, Dictionnaire biographique des protestants français de 1787 à nos jours, t.3 H-L, Paris, Les Éditions de Paris / Max Chaleil, 2022, p. 816-817
(12) «
Henri Lindegaard », Wikipédia, l'encyclopédie libre, 2024
(13) Roger Chapal, « Le parcours », Foi et Vie, Vol. 96, n. 3, juillet 1997
(14) « Art et Foi de Lindegaard », Foi et Vie, Vol. 96, n. 3, juillet 1997
Autres articles et interviews :
- « Fiche de présentation : Lindegaard, Henri », Le Delarge, Dictionnaire des arts plastiques modernes et contemporains
- André Féline et Philippe Liard, « Je cherche une lumière - interview », Le Christianisme au XXe Siècle, n. 32, septembre 1985, p. 7
- Jérôme Cottin, « Lindegaard, ou la puissance des contrastes », Réforme, n. 2478, octobre 1992
- Patrick Booth, « Couleur de l'amour - interview », En avant ! - Hebdomadaire de l'Armée du Salut, 11 - 24 décembre 1994, p. 1-3
- Jérôme Cottin, « Henri Lindegaard, pasteur et peintre (1925-1996) », Protestantisme & Images, 2004
- Jérôme Cottin, « Biblische Kontraste, Meditationen in Bild und Wort, Auteur : Henri LINDEGAARD », sur Protestantisme & Images, 2004
- Jérôme Cottin, « Un précurseur : le peintre et pasteur Henri Lindegaard », dans : Face à l'image : de l'interdit à l'art, Information-Evangélisation, février 2007, Paris, Église réformée de France, p. 45-48
- Françoise Saslawsky, « Merci, Créateur, d'avoir créé un créateur - Portrait-témoin : Béatrix Lindegaard », Le Cep n. 431, mai 2001
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