Henri Lindegaard :

Écrits 

Au bord du Gardon (1986) © Henri Lindegaard 

En matière d'écrits Henri Lindegaard est surtout connu pour les textes de La Bible des Contrastes - en voir des exemples sur ce même site :  

Il a aussi écrit des articles, comme Pour faire un portrait, et donné des conférences, tel La beauté (tous les deux sur ce même site), et bien sûr des prédications, voir J'ai joué de la flûte, au bas de cette même page.  

Le poème à droite fut retrouvé dans ses papiers à sa mort, et publié dans la deuxième édition de La Bible des Contrastes, ainsi que dans un numéro commémoratif de la revue Foi et Vie : 

  • Le dernier poème, "Foi et Vie", Volume XCVI #3 Juillet 1997, p.67 (enregistrement gratuit).  

Le poème a été lu par la pasteure Solange Weiss dans le contexte d'une prière donnée le 8 décembre 2020 (au cours de Deux minutes pour prier, podcast offert par l'Église Protestante Unie de Montpellier et Agglomérations). Weiss commence par rappeler le "Salut" à Marie de l'ange Gabriel, rattache ce salut à l'idée que Dieu est présent pour chacun de nous, puis enchaîne et termine avec le poème de Lindegaard.

je dédie ce poème à ceux qui ont souffert

à ceux qui sont nés sans qu'on les ait voulus
à ceux qui ont grandi dans un foyer éteint
à ceux qui ont frappé des portes verrouillées
à ceux qui s'embarquèrent sans un regard d'ami
à ceux qui ont ramé des naufrages sans fin
à ceux qui ont semé sans espoir de moisson
à ceux qui ont aimé sans entendre un écho
à ceux qui ont porté le poids d'un lourd secret
à ceux qui se sont tus au mépris des souffrances
à ceux qui ont souffert par manque de paroles
à ceux qui sans paroles ont su donner leur vie
à ceux qui ont vécu sans laisser une trace

à tous ceux-là et à bien d'autres je dis :

- « salut ! »

                                   Henri Lindegaard, 1996

Reproduit aussi dans :

  • Notre lien quotidienrecueil de prières de l'Église Unie du Canada, (page pour le 27 janvier 2021).
  • Vivre ensemble à Batignolles, bulletin paroissial #166, (voir p. 9), Église protestante unie des Batignolles, Paris, décembre 2016.

Prédications et textes bibliques

De 1947 à 1990 quand il a pris sa retraite, Henri Lindegaard a écrit toutes ses prédications à la main, de sa belle écriture régulière et pleine. Il avait élaboré un système de signes et ponctuation qui montre qu'il faisait très attention à la cadence, au rythme, au débit de la prédication. Au fil des ans il a forcément repris le même sujet plusieurs fois, et à chaque fois il retravaillait son texte, ou abordait le sujet d'un angle différent. 

Son style a beaucoup évolué, et son écriture s'est réduite de plus en plus à l'essentiel, avec une économie et simplification de mots, mais en même temps une plus grande vigueur et caractère dramatique. Pour l'ordre des mots dans une phrase, par exemple, il choisit de placer d'abord l'action ou l'idée principale.  

Pour ne citer qu'un court exemple pris au hasard, voici une comparaison entre Promis à Zacharie, à gauche, publié dans Le Christianisme au XXe siècle (7 novembre 1983, Numéro 41), et le texte correspondant de La Bible des contrastes, Une parole qui rend muet, publié dix ans plus tard, à droite, avec une analyse des différences au centre.  

Le vieux Zacharie a mis ses vêtements sacerdotaux, son tour est arrivé de présenter la prière du peuple.  

Il est entré, pieds nus, dans le Lieu Saint.  Sur l'autel des parfums, il fait brûler l'encens




La fumée monte.

La prière s'élève comme un sacrifice de bonne odeur. 

Le deux-points indique plus directement une explication que la virgule. Une précision, "au Seigneur" est aussi plus explicative.


De mettre "pieds nus" en premier relève le caractère spécial de la démarche de Zacharie. L'action principale dans la phrase suivante est "il a fait brûler de l'encens", qui apparait en premier. "Sanctuaire" est un terme plus simple et succinct que "Lieu Saint".


Ainsi le parallèle entre la fumée qui monte et la prière qui s'élève est etabli d'une manière plus directe, et élégante dans sa simplicité. 

Et ainsi de suite ...

Le vieux Zacharie a mis ses vêtements sacerdotaux : son tour est arrivé de présenter au Seigneur la prière du peuple.  

 Pieds nus, il est entré dans le sanctuaireIl a fait brûler de l'encens sur l'autel des parfums. 



Avec la fumée, sa prière s'élève comme un sacrifice de bonne odeur. 


Tout ce travail de recherche a abouti donc, comme on vient de voir, à la majesté des textes de La Bible des contrastes, qui sont en même temps méditations, prédications, et poèmes.

Pour en revenir aux prédications, elles sont devenues au fil des ans progressivement plus courtes. Peut-être le temps prévu pour la prédication dans l'ordre du culte a diminué ? En effet, d'après son ami et collègue Jean-Christophe Muller, dans le passé les prédications devaient durer trente minutes, et si le prédicateur en faisait moins, on disait que c'était du bâclé, qu'il ne s'était pas donné de la peine. Depuis les années 1970 c'est passé à 15 minutes, et si on en fait plus, les gens partent.

Muller a aussi décrit les prêches de Lindegaard en 1977 - 1979 à Alès dans la Salle de la Maison du Protestantisme, où il construisait au fur et à mesure du prêche un dessin qui illustrait le texte. Le dessin évoluait et devenait de plus en plus élaboré en fonction de ce qui se disait. Voir aussi Jérôme Cottin, Henri Lindegaard, pasteur et peintre (1925-1996). 

Dans le dossier des prédications de 1947, quand Lindegaard était encore étudiant, on retrouve une prédication qui avait reçu la note de 18/20 avec un commentaire du professeur, qui commence par « Excellent ! ».

Lindegaard tenait un cahier où était noté par année le titre de chaque prédication, avec la date, les cantiques qui l'accompagnaient, le nom des localités où il l'avait prêchée et le nombre des paroissiens.

La prédication de Lindegaard ci-dessous à gauche, J'ai joué de la flûte, fut donnée à Vézénobres en 1974, sur Luc 7: 28-35 (publiée sur le numéro de Foi et Vie cité ci-dessus). Vingt ans après, elle avait été réduite à sa plus simple et poétique expression dans Ceux qui boudent et ceux qui jouent de La Bible des contrastes (à droite, accompagné du dessin correspondant). Bien sûr, de juxtaposer les deux textes ne veut pas dire que l'un remplace l'autre, ils se complémentent plutôt.  


J'AI JOUÉ DE LA FLÛTE

     L'histoire du monde peut être comparée à un jeu d'enfants.

     Les jeux d'enfants, nous les connaissons, car nous y avons tous joué. Et même si nous les avons oubliés, il suffit d'ouvrir nos fenêtres pour voir comment ils se font dans la rue. Que de cris, que d'interpellations, que de projets qui ne sont pas suivis ! Tout le monde veut commander et personne n'obéit. Tout le monde parle et personne n'écoute. « Mais jouez intelligemment » avons-nous envie de leur dire, « organisez vos jeux et cessez de vous disputer ! »

     En Palestine, comme partout ailleurs, dans chaque ville, sur la place du marché, les enfants jouent. Il y a un jeu très gai qui consiste à imiter un mariage : un groupe d'enfants joue de la flûte pendant qu'un autre danse autour des mariés. Il y a aussi un jeu très triste : l'ensevelissement. Un groupe d'enfants chante des complaintes tandis qu'un autre se lamente, comme des pleureurs et des pleureuses professionnels se frappant la poitrine. Tristes ou gais, ces jeux sont charmants s'ils ne deviennent pas sujet de dispute. Ils le deviennent presque toujours : ce que les uns veulent, les autres ne le veulent pas : « Jouons au mariage », « Non ! disent les autres, ce n'est pas amusant. Jouons à l'enterrement. ». Dès que le jeu commence, on change d'avis et l'on préfère finalement jouer au mariage. « Nous ferons les musiciens, et vous les danseurs ! Dansez, mais dansez donc ! » ... « Pour vous, nous avons joué de la flûte et vous n'avez pas dansé ... » « Eh bien, jouons à l'ensevelissement ! Pleurez, mais pleurez donc ! » « Pour vous, nous avons entonné des complaintes, et vous n'avez pas pleuré. »

     « A qui donc puis-je comparer les hommes de cette génération ? » se demandait Jésus. Les hommes de cette génération sont ses contemporains, le peuple tout entier, et surtout les représentants du peuple, les scribes et les pharisiens. A qui ressemblent-ils ? La conduite des hommes de cette génération est tellement insensée, tellement illogique et butée que Jésus ne sait vraiment plus à quoi la comparer. C'est trop ridicule ! Vous êtes comme des gamins, oui, comme ces gamins qui assis sur une place publique s'ennuient parce qu'ils ne savent pas jouer. Mais que leur faut-il, aux hommes de cette génération ? Comment donc faut-il leur parler ? Vous trouvez toujours de bons motifs pour rejeter celui qui vous parle, quel que soit l'aspect sous lequel il se présente à vous.

     Jean-Baptiste est paru, sauvage, austère dans son désert. Pour lui, pas d'habits précieux, pas de banquets délicieux dans les maisons des rois, pas de pain, pas de vin, mais des sauterelles, du miel sauvage, des ronces, des rochers. Et vous dites qu'il est fou, qu'il est complètement cinglé, qu'un démon l'habite, que ça ne vaut pas la peine de l'écouter.

     Et vous n'avez pas écouté ses complaintes, ses chants tristes. Il a annoncé un châtiment sévère : « Race de vipères, qui vous a appris à fuir la colère à venir ? Déjà la cognée est placée à la racine des arbres. Tout arbre, donc, qui ne porte pas de bon fruit, va être coupé et jeté au feu. Repentez-vous ! car le règne des cieux est proche ... » « Jean a entonné des chants de deuil, et vous n'avez pas pleuré, vous ne vous êtes pas repentis, vous n'avez pas confessé vos péchés, vous faisant baptiser dans le fleuve en signe de repentance ... »

     Puis le Fils de l'Homme est venu. Il a commencé son ministère allègrement, comme sur un air de flûte. Il a commencé par un repas de mariage, à Cana. Il finira par un repas avec des cantiques, à Jérusalem. Entre ces deux repas, il n'a pas perdu son temps. A plusieurs reprises, on l'a vu manger avec des publicains et les gens de mauvaise vie, tout débordant de joie. Les disciples de Jean jeûnaient, mais les disciples de Jésus ne jeûnaient pas. « Pourquoi tes disciples ne jeûnent-ils pas ? Les compagnons de l'époux peuvent- ils mener le deuil tant que l'époux est avec eux ? Il faut que le Fils de l'Homme et ses amis jouent de la flûte. La terre et le ciel sont en mariage ! Il a joué de la flûte et vous ne vous êtes pas laissé emporter par sa joie ! Il a joué de la flûte et vous n'avez pas marqué le pas ! Vous êtes restés assis, avec vos pensées secrètes, avec vos jugements, avec vos dédaigneuses constatations. Et vous dites que Jésus, n'est qu'un glouton, un ivrogne, un ami des publicains et des gens de mauvaise vie ... »

     Ainsi vous avez critiqué l'ascétisme de Jean et vous critiquez la joie débordante du Fils de l'Homme. Vous avez rejeté le premier parce qu'il n'était pas comme le second, et vous avez rejeté le second parce qu'il n'est pas comme le premier. Que voulez-vous donc, ô hommes de cette génération ?

     Frères, la génération de Jésus n'était pas pire que la nôtre. A qui Jésus pourrait-il comparer notre génération, si ce n'est à des enfants irrésolus et boudeurs ? Nous refusons les pasteurs qui nous jouent de la flûte et nous refusons les pasteurs aux airs d'enterrement. Nous disons que les uns sont trop sévères, trop stricts, trop dénonciateurs du péché et trop annonciateurs du jugement. Mais nous disons aussi que les autres sont trop populaires, trop bons vivants, qu'ils prêchent trop la grâce et le pardon. Nous ne sommes jamais contents.

     Les récriminateurs ne le sont pas seulement contre les pasteurs. Comme des gamins qui boudent, bien souvent les membres de l'Église s'interpellent, individuellement ou en groupes : nous avons organisé ceci et vous n'avez pas marché, nous avons voté cela et vous êtes restés indifférents.

     Tant que les choses en restent là, l'atmosphère est irrespirable : L'Église est comme cette place du marché où les enfants sont assis sans jouer le jeu. Un enfant qui ne veut jamais jouer, ce n'est plus un enfant, c'est rien ...

     Comme vous voyez, frères, triste, triste est notre méditation jusqu'à ce que nous arrivions à la dernière parole, jusqu'à ce que nous butions sur le dernier verset de notre texte, phrase étincelante sur un fond terne, oui, parole qui rachète tout :

     « Mais la sagesse a été justifiée par ses enfants ».

     C'est vrai qu'il y a des gamins qu'on ne peut satisfaire parce qu'ils n'ont pas l'intention d'être satisfaits. C'est vrai qu'il y a des gamins qui s'ennuient. Mais il y a aussi « les enfants de la Sagesse ». Ceux-ci comprennent les règles du jeu et acceptent de jouer. Ils savent danser sur un air de flûte et pleurer quand on entonne des chants de deuil. Les enfants de la Sagesse sont ceux qui reçoivent le Christ, Sagesse de Dieu personnifiée. L'Évangile de Jean, qui identifie la Sagesse de Dieu et sa Parole, dit qu'elle « est venue chez les siens, et les siens ne 1' ont pas reçue. Mais à tous ceux qui l'ont reçue, à ceux qui croient en son nom, elle donne le pouvoir de devenir enfants de Dieu. » Les enfants de Dieu, enfants de la Sagesse reconnaissent et accueillent les œuvres de Dieu. Ils reconnaissent le petit air de flûte que Dieu joue lui-même, et les chants de deuil que Dieu lui-même chante. Car c'est Dieu qui en premier chante des complaintes parce que sans lui le monde est perdu, voué au jugement et à la mort. Dieu chante des complaintes pour son Fils abandonné, jugé et mort sur la croix. Et c'est cette complainte que Jean-Baptiste a chantée pour les gens de sa génération.

     Et les enfants de la Sagesse ont entendu. Ils ont compris que les œuvres de Dieu sont en même temps œuvres de jugement et de miséricorde, œuvres de mort et de résurrection.

     Jean-Baptiste, de la part de Dieu, a chanté sa complainte. Et s'il est vrai que les scribes et les pharisiens ont boudé, les enfants de la Sagesse se sont mis à pleurer. Ce sont les publicains et les pécheurs qui, en se faisant baptiser dans le fleuve, ont donné raison à Dieu.

     Jésus, de la part de Dieu, a chanté son air de flûte. Les scribes et les pharisiens ont encore boudé. Mais les enfants de la Sagesse se sont mis à danser. Interpellés par Jésus, Simon, André, Jacques, Jean, Matthieu et tous les autres se sont levés et l'ont suivi.

     En ce qui nous concerne, frères, l'Église peut être cette assemblée de gamins qui vocifèrent, s'interpellent, se font des reproches et restent finalement assis sur leur ennui. Mais il y a un mais.

     N'irons-nous pas alors dans un mouvement d'ensemble sur les places publiques du monde, là où 1' on travaille, là où l'on fait du commerce, là où l'on se rencontre ?

     Afin de chanter à notre tour notre complainte et jouer notre petit air de flûte. Car le monde s'ennuie. Il n'est pas assez triste et pas assez joyeux. Il faut l'inviter à l'humiliation, au jeûne et à la repentance à cause des guerres, des injustices et des haines qui l'empoisonnent.

     Mais il n'est pas assez joyeux. Il ne sait pas que Dieu l'aime, qu'il lui donne sa paix et son pardon et qu'il l'invite dans sa grâce à participer joyeusement aux noces de son Fils. Il a besoin d'entendre un petit air de flûte et de danser. Amen.

                                                                                                                                     Henri LINDEGAARD

     Prédication donnée à Vézénobres en 1974, sur Luc 7:28-35.

Ceux qui boudent et ceux qui jouent

À qui peut-on comparer les hommes d'aujourd'hui ?
À des gamins qui s'ennuient sur la place publique.
Ils n'ont envie de rien.
"Jouez, mais jouez donc !
Il y a un jeu très gai, le jeu du mariage :
Nous serons les musiciens
et vous les danseurs.
Dansez, mais dansez donc !
Pour vous, nous avons joué de la flûte
et vous n'avez pas dansé !

Alors jouons à un autre jeu,
le jeu de l'enterrement :
Nous chanterons des chants funèbres
et vous pleurerez.
Pleurez, mais pleurez donc !
Pour vous, nous avons chanté
des chants tristes
et vous n'avez pas pleuré !"

Les hommes d'aujourd'hui sont comme des gamins qui boudent.

Jean est venu, austère dans son désert pierreux.
Pour lui pas d'habits précieux, pas de mets délicieux,
pas de pain pas de vin,
mais l'annonce d'un jugement sévère.
Il vous a appelés à la repentance,
et vous êtes restés sourds à son appel.
Il a entonné un chant de deuil,
et vous n'avez pas pleuré !

Puis est venu le Fils de l'homme.
Il est venu avec des chants joyeux,
avec du pain pour les foules et du vin moelleux
et vous l'avez accusé d'être un ivrogne, un goinfre,
un ami de ceux qui ont mauvaise réputation.
Il a joué un air de flûte
et vous n'avez pas dansé !

Mais, heureusement, les enfants de la sagesse
ne sont pas des gamins qui s'ennuient.
Ils pleurent lorsque Jean les appelle à la repentance,
et ils se réjouissent quand le Fils de l'homme
leur donne le pain et le vin aux noces du Royaume.

Luc 7

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